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Échanges (de) fluides (french only)
Emmanuelle Choquette - Papilles développement
Jan 31, 2022
 Mg 2963
Photo by:
Charles Briand

Sur les vignobles, une fois le raisin recueilli, pressé et macéré, reste la peau et la pulpe : le marc, un produit qui serait habituellement écarté. Puisqu’il contient encore du sucre, il peut toutefois servir de base à la distillation d’une eau-de-vie de raisin – connue en Italie sous le nom de grappa – sans qu’on ait recours à des fruits frais. 

Au Québec, avec l’essor réciproque de la production viticole et de la distillation, l’occasion est belle de faire naître de fructueux échanges entre vignerons et distillateurs. C’est ce qui s’est produit entre le Domaine du Nival et La Société secrète, ainsi qu’entre le vignoble Les Pervenches et la Distillerie de Québec

Cette dernière a débuté ses tests avec le marc de raisin de la récolte 2018 des Pervenches. «Il fallait apprivoiser la matière, sa fermentation, le comportement du moût dans l’alambic…» explique le copropriétaire de la Distillerie de Québec Christophe Légasse. En a découlé une microcuvée qui s’est écoulée en quelques heures à peine. Forte de cette première expérience, la distillerie s’est lancée dans une production plus importante, bien que modeste aussi, qui sera offerte au cours de 2020.

«C’est gratifiant de savoir qu’on peut créer un produit de si grande qualité à partir d’une matière qui devait auparavant être écartée.»

Christophe Légasse, copropriétaire de la Distillerie de Québec

Une collaboration similaire s’est aussi établie entre la distillerie Mariana et l’entreprise de jus Loop, déjà très engagée dans la valorisation de produits alimentaires invendus. Les deux entreprises ont uni leurs efforts pour créer un gin à base de pelures de pommes de terre récupérées dans les usines de croustilles Yum Yum. La quantité de retailles récupérées pour le produire a été estimée à 24 tonnes pour la première année, ce qui équivaut à environ 150 000 pommes de terre de taille moyenne.


Des ingrédients aux vies multiples


En plus de sa collaboration avec Nival, La Société secrète pousse la démarche encore plus loin avec Pinard et Filles en explorant le potentiel aromatique de sousproduits de la production du vin. Une fois ses raisins pressés, le vignoble Pinard et Filles envoie les peaux à la Brasserie Auval, située à Val-d’Espoir, non loin de Percé. Là, elles séjournent quelques mois en fûts et servent à aromatiser une bière, la Pomace orange. Une fois la bière mûrie à point, les peaux prennent le chemin de la distillerie, où elles servent à la production d’une liqueur de type amaro, un alcool d’inspiration italienne. « En résulte un produit unique qu’on a nommé Troisième vie, en référence au circuit réalisé par les peaux de raisin», souligne Mathieu Fleury, copropriétaire de la distillerie.

Mais la palme de la revalorisation revient certainement à la distillerie Noroi qui, aussi en partenariat avec Loop, réussit à donner non pas deux, trois ou quatre, mais bien sept vies à des oranges biologiques invendues! Résultat : du jus, une liqueur, un bitter, un sirop simple, des chocolats et une bière à l’orange… Il y a même des cochons – pas à l’orange quand même! – à qui on donne un régime aux notes d’agrumes, afin de parfumer délicatement leur chair. Qui dit mieux?


Valorisation et échanges fructueux


Parfois, le terme « échange » prend tout son sens et fait penser à un match de tennis dans lequel la balle est remplacée par un… baril! Entre la Distillerie du St. Laurent de Rimouski et la brasserie Riverbend d’Alma s’est établi ce que les principaux intéressés nomment amicalement la « confrérie du baril ». Des barils ayant servi à faire vieillir le gin St. Laurent sont envoyés à la brasserie pour le vieillissement d’une bière de type gose, salée aux algues. Une fois ce processus terminé, les contenants retournent au Bas-Saint-Laurent pour un autre lot de gin, et l’échange se poursuit.

« Pour faire vieillir nos bières en fûts, il faut importer des barils des États-Unis et même d’Europe. Pouvoir s’approvisionner auprès de distilleries d’ici est une véritable chance, et ça permet de créer de réels produits collaboratifs.»

Sébastien Morasse, copropriétaire et chef de production à Riverben

Pour preuve, la fameuse bière est maintenant parfumée avec les mêmes aromates que le gin qui a vieilli dans les barils.

En souhaitant innover et optimiser les matières de l’industrie agroalimentaire d’ici, les distillateurs et les distillatrices n’ont certainement pas fini de nous étonner! Dieu seul sait ce qu’ils et elles nous réservent pour l’avenir… et c’est tant mieux!

Un Terrain de jeu

À la Distillerie du Fjord de Saint-David-de-Falardeau, au Saguenay, la collaboration prend la forme d’une exploration des arômes de la forêt boréale grâce à une relation privilégiée avec le biologiste Fabien Girard, spécialisé depuis de nombreuses années dans les plantes forestières comestibles. «Avec Fabien, je nous vois comme des défricheurs, des explorateurs du potentiel aromatique du Québec, lance Jean-Philippe Bouchard, copropriétaire de la distillerie. Les consommateurs commencent tranquillement à apprivoiser certains aromates québécois grâce au travail des chefs. Mais pour un même produit, le processus de distillation fera ressortir une tout autre palette aromatique que s’il est utilisé en cuisine. C’est un sacré terrain de jeu! »