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Le maltage, un art délicat (French only)
Pénélope Leblanc
Aug 26, 2021
Distillerie Shefford 29
Photo by:
Charles Briand

Le maltage n’entre pas dans l’élaboration de tous les alcools. On ne malte pas les fruits ou le miel, par exemple. On ne malte que lorsque les grains utilisés contiennent de l’amidon, comme c’est le cas pour la bière et l’alcool neutre qui sert à produire plusieurs spiritueux. Les distilleries qui les produisent travaillent souvent avec l’avoine, le blé, l’orge et le seigle : ces quatre grains doivent être maltés. 

Cette étape est cruciale si on veut produire un alcool de grain. Elle sert à libérer les sucres de la céréale afin qu’un certain degré d’alcool soit atteint lors de la fermentation, une phase qui suit le maltage et dont il est question dans ce texte

Le grain doit germer afin de libérer des enzymes qui transformeront l’amidon en sucre et que la levure pourra assimiler. En d’autres mots, lorsque la céréale est crue, l’amidon ressemble à un tricot : les sucres y sont imbriqués et rangés dans une structure de protection de la plante, explique Raphaël Sansregret, docteur en biologie moléculaire des plantes et cofondateur de la malterie sherbrookoise Innomalt. La levure ajoutée à l’étape de fermentation n’est pas en mesure de « consommer » le grain cru. Il faut d’abord que ce dernier génère des enzymes qui dégraderont le tricot pour que la levure soit capable de « prendre de petites bouchées », résume-t-il.

Si bon nombre de distillateurs souhaitent faire leur propre malt, des obstacles se posent sur leur route. « Il y a un désir d’être le plus artisanal possible, de tout faire soi-même, mais le maltage exige un savoir-faire, des silos, des équipements, beaucoup de pieds carrés », explique Joël Pelletier, cofondateur de la Distillerie du St. Laurent, à Rimouski.

Plusieurs se tournent donc vers des malteries locales, qui acceptent parfois de recevoir les grains de la distillerie ou proposent autrement d’en sélectionner en fonction de certains critères. Par ailleurs, encore plusieurs distilleries se procurent un alcool de base et commencent donc à l’étape de la distillation. Elles n’ont pas à se soucier du maltage.

Saviez-vous que?

L’appellation single malt réfère à un whisky distillé dans une seule distillerie, comme un vin de château français, qui intègre uniquement un malt (d’orge en l’occurrence), comme les vins de monocépage.

Le processus du maltage, qu’il soit réalisé en malterie ou directement à la microdistillerie, se déroule généralement en trois étapes qui demandent une délicatesse et un grand savoir-faire : le trempage, la germination et le touraillage.

La première étape vise à mouiller les grains dans une cuve en les laissant tremper ou en les arrosant afin que le taux d’humidité des céréales passe d’à peu près 14 à 45 %. Attention : les grains ne doivent être ni trop mouillés ni trop secs. La céréale commence alors sa germination et l’amidon se transforme en sucre fermentescible. Après environ deux jours de trempage (ou lorsque les céréales atteignent un taux d’humidité optimal), la deuxième étape peut commencer.

La germination consiste à chauffer les grains afin qu’ils atteignent leur maturité biochimique. Pour ce faire, il faut placer les grains humides dans une cuve similaire à celle utilisée pour le trempage ou les étendre sur un plancher prévu à cet effet. Les grains développent alors la racine qui leur permettrait normalement de devenir une plante. Tout doit être calculé : la quantité d’eau et d’oxygène, la température et le temps. S’il fait trop froid, tout le processus sera ralenti; s’il fait trop chaud, le grain pourrait se transformer trop rapidement. 

La germination dure environ de trois à cinq jours durant lesquels la croissance des grains est surveillée de très près. En résulte un « malt vert », appelé ainsi puisque les grains germés ont développé de toutes petites pousses vertes. 

Il s’agit d’une étape délicate lors de laquelle le savoir-faire et l’instinct des malteurs jouent un grand rôle. En effet, les sens sont tout aussi essentiels que les contrôles scientifiques effectués par des machines et supervisés par des humains. Certains as du maltage goûtent, sentent et touchent leurs grains.

Enfin, il faut sécher le malt vert issu de la germination. C’est le moment du touraillage, qui permettra aux saveurs, aux arômes et aux couleurs de se développer. Cette dernière étape qui s’effectue pendant une durée de 24 à 48 heures dans une touraille (un four servant à sécher les grains) permet également de stopper la germination et de stabiliser le produit qu’on peut désormais appeler malt. Tout le processus dure en moyenne de 7 à 10 jours, selon les techniques et équipements utilisés. 


Les différentes philosophies derrière le maltage


Pour Raphaël Sansregret, le maltage a beau faire appel aux sens, la science n’est jamais bien loin.

« J’ai un goût et un odorat très développés. Je peux, entre autres, savoir qu’il faut ajouter de l’eau juste en sentant les grains. Les sens sont assez importants, mais il faut corréler ces informations-là avec les données scientifiques. »

Raphaël Sansregret, docteur en biologie moléculaire des plantes et cofondateur de la malterie sherbrookoise Innomalt

La stabilité représente généralement la force des malteries qui utilisent des cuves en acier inoxydable et toutes sortes d’équipements performants. Tout est vérifié, calculé et contrôlé. Cette façon de faire coexiste avec d’autres écoles de pensée. Le maltage de plancher, par exemple, est plus artisanal, et chaque détail compte. Cette méthode traditionnelle peut être complexe à mettre en place puisqu’elle requiert de très grands espaces. Le malteur doit par ailleurs surveiller et retourner les grains au sol à plusieurs reprises durant la journée pendant l’étape de la germination.  

« Toutes [les] façons de faire se valent et ont leur place dans l’industrie », indique Raphaël Sansregret. Les rendus sont différents et c’est l’intérêt de la chose selon François Marquis, de la distillerie Côte des Saints, qui désire entre autres élaborer un whisky de sélection conçu à partir de maltage de plancher qui sera fait entre ses murs. La distillerie souhaite entamer ce projet depuis quelque temps, mais, pandémie oblige, elle a dû y mettre un frein. François Marquis explique aussi vouloir faire brûler de la tourbe lors du touraillage, tout comme le veut la tradition des maîtres distillateurs écossais. Cela donne du caractère au whisky, qui est directement influencé par la fumée de tourbe.

Enfin, les distilleries qui font elles-mêmes leur alcool de base (de grains) peuvent débuter le processus de fabrication d’un spiritueux lorsqu’elles prennent possession de leur précieux malt.