Blogue
Des distillateurs qui veillent au grain

Ingrédients de base de nombreux spiritueux, les grains font peu parler. Certains distillateurs y accordent pourtant une importance particulière, convaincus qu’ils amènent un caractère unique à leur alcool… en plus de leur permettre de nouer des liens avec les producteurs locaux.

Rémy Bourdillon
12 juil. 2021
Grains Distilleries
Photo de :
Charles Briand

Quand la distillerie Menaud de Clermont (Charlevoix) a créé sa vodka, son choix s’est arrêté sur un mélange fait à 75% de blé et à 25% de seigle. « On a fait des tests avec plusieurs grains pour savoir quelle était l’influence sur le goût, se rappelle le cofondateur Charles Boissonneau. Ce qu’on a noté, c’est que le blé était rond en bouche et axé sur le pain. On adorait ça, mais on a voulu ajouter une touche de seigle, qui a un petit côté épicé, voire minéral. »

À Rimouski, les copropriétaires de la Distillerie du St. Laurent se sont inspirés de bourbons qu’ils appréciaient pour établir la recette de leur premier whisky, lancé fin 2020 : 75% maïs, 15% seigle et 10% orge maltée. « Le maïs amène un côté rond et sucré, et le seigle du piquant », décrit un des patrons, Jean-François Cloutier. Quant à l’orge maltée, elle renvoie à l’univers des scotchs: saveurs de céréales torréfiées, notes de caramel, de chocolat ou d’orange…

Jean Francois Cloutier Distillerie Saint Laurent
Photo de :
Charles Briand illustrant Jean-François Cloutier de la Distillerie du St. Laurent

Mais une fois ces généralités gustatives exposées, une majorité des distilleries québécoises ne poussent pas plus loin leur recherche sur les céréales et se contentent d’acheter celles qu’elles trouvent facilement. Les variétés utilisées et le lieu où elles poussent sont rarement évoqués pour expliquer le caractère d’un alcool – par exemple, pour un scotch, on parlera surtout de la tourbe utilisée pour fumer l’orge, de l’eau locale et de la proximité de la mer lors du vieillissement.

Il faut dire qu’il est difficile d’avoir un plein contrôle sur cette matière première. « Soit tu es trop petit pour qu’un agriculteur produise selon tes besoins, soit tu es trop gros et tu prends le grain qu’il y a, parce qu’il faut que tu nourrisses tes alambics », résume Jean-François Cloutier. Lui se considère chanceux: il entretient une bonne relation avec un producteur de céréales et de porcs, Claude Ouellet de la ferme O’Rye du Kamouraska, qui cultive différentes variétés de seigle pour nourrir ses animaux et lui vend une petite partie de sa production.

Grains Dans La Main Dun Distillateur

La distillerie bas-laurentienne peut donc se payer le luxe de tester plusieurs cultivars de seigle, histoire de voir s’ils colorent le produit final. Une expérience longue et minutieuse, au dire de Jean-François Cloutier, puisque le whisky vieillit trois ans au minimum.

« Il y a tellement de facteurs qui déterminent le goût d’un spiritueux: la levure, les conditions de vieillissement, le baril, la forme de ton alambic… Mais de plus en plus de gens croient que le grain va avoir un impact. »

Jean-François Cloutier, copropriétaire de la Distillerie du St. Laurent

C’est d’ailleurs le credo de la distillerie Westland, basée dans l’État de Washington, qui essaie une vingtaine de variétés différentes d’orge cultivée localement pour peaufiner son single malt. 

Et le terroir?

Le terroir influence aussi le goût et les particularités du grain. « À Saint-Joseph-de-Kamouraska, le seigle est plus long et moins rempli que sur les terres en bord du fleuve », affirme Claude Ouellet. Ça change quoi sur le whisky? Dur à dire pour le moment, mais ça vaut la peine de faire la comparaison, pense-t-il.

Les microdistilleries québécoises peuvent se permettre ce genre d’essais: étant artisanales, elles vivent très bien avec le fait que d’un lot à l’autre, leurs alcools puissent présenter de légères variations de goût. Ça leur donne toute la latitude pour sortir des sentiers battus, contrairement aux distilleries industrielles. « On est dans un rush d’apprentissage », remarque Claude Ouellet, qui se sent concerné par ces expériences bien qu’il ne distille pas lui-même.

De l’autre côté du Saint-Laurent, Charles Boissonneau achète ses céréales à la ferme Harvey de L’Isle-aux-Coudres. Il croit qu’elles ajoutent de la texture de par leur apport en huiles essentielles et permettent de créer une vodka « onctueuse ».

Il pense aussi que l’air iodé s’y retrouve d’une manière ou d’une autre. « Je n’ai pas de comparatif, mais on est persuadés que si le grain venait de Montérégie, on verrait une différence. » Mais Menaud n’aura pas l’occasion de vérifier cette affirmation, puisque sa priorité est de mettre en valeur les produits locaux et les grains régionaux tels que les agriculteurs les fournissent.

Dans le gin, encore peu de grains


Le gin reste le produit phare des microdistilleries québécoises, mais moins d’une dizaine de distilleries le créent à partir de grains. Les autres achètent de l’alcool neutre de maïs d’Ontario. C’est le cas de la Distillerie du St. Laurent, qui le parfume ensuite avec des algues ou des agrumes. «Mon travail, c’est de générer des saveurs, et dans le cas du gin, cela se fait grâce aux aromates», explique Jean-François Cloutier pour expliquer ce choix.

«L’alcool neutre d’Ontario est tellement distillé et filtré qu’il n’y a plus aucune trace de grain; il ne reste que le goût de l’alcool éthylique, que tu veux masquer», analyse Charles Boissonneau. Menaud souhaite faire les choses autrement: la distillerie charlevoisienne juge important d’avoir le contrôle sur son produit de A à Z et utilise plutôt sa vodka comme base pour produire son gin. Grâce aux céréales, la vodka est beaucoup plus douce et ne brûle pas la bouche, si on en croit son concepteur.